Il faut pouvoir repenser à des chemins
dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs
que l’on voyait longtemps approcher, à des jours d’enfance dont le
mystère ne s’est pas encore éclairci, à ses parents qu’il fallait qu’on
froissât lorsqu’ils vous apportaient une joie et qu’on ne la comprenait
pas (c’était une joie faite pour un autre), à des maladies d’enfance qui
commençaient si singulièrement, par tant de profondes et graves
transformations, à des jours passés dans des chambres calmes et
contenues, à des matins au bord de la mer, à la mer elle-même, à des
mers, à des nuits de voyage qui frémissaient très haut et volaient avec
toutes les étoiles – et il ne suffit même pas de savoir penser à tout
cela.
Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d’amour, dont
aucune ne ressemblait à l’autre, de cris de femmes hurlant en mal
d’enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se
refermaient.
Il faut encore avoir été auprès de mourants, être resté
assis auprès de morts, dans la chambre, avec la fenêtre ouverte et les
bruits qui venaient par à-coups.
Et il ne suffit même pas d’avoir des
souvenirs.
Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il
faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent.
Car les
souvenirs ne sont pas encore cela.
Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en
nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se
distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une
heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers. »
Les Cahiers de Malte Laurids Brigge de Rainer Maria Rilke.
Photo Sylvie Stéfani
Il est des textes qui résonnent en nous une fois qu'on les a lus.
Celui là en fait partie pour moi.
En ce moment, il me parle encore plus que d'habitude, sans doute parce que je brasse quelques souvenirs et que je ne me sens pas encore capable d'écrire un ou plusieurs vers.
Parce que la poésie est partout en nous, qu'il faut la voir et la sentir dans tous les petits gestes de la vie quotidienne, dans le regard des autres et même dans les tâches professionnelle.
Incurablement romantique ? On a les faiblesses qu'on peut.
Et vous, y a-t-il un texte qui vous fait ressentir ça ?
P.S. Parce que vous êtes sympa, le voici dit par Michel Aumont, accompagné par la musique de Benjamin Biolay, extrait du film Pour Clara.
Bon week-end
.
Tiens, on avait monté ce texte au théâtre il y a bien longtemps !
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