« Je suis parce que Nous sommes »
"Je suis Philippe Carry, un enfant du Vieux-Lyon tout comme mes grands parents le furent et l'Horloger de Saint-Paul. Je suis de ce quartier façonné au cours des siècles par la main et l'esprit réunis, par les peuples d'Europe, ouvert aux autres, ouvert au monde.
Mon métier est de restaurer le patrimoine à la fois dans son intégrité et dans sa dignité, de conserver sa mémoire et son histoire, comme s'il était vivant.
Le vendredi 22 septembre 2017 très tôt le matin, j'ai été attaqué. Cette agression visait des biens matériels appartenant pour certains au patrimoine des Lyonnais, elle visait mon outil de travail, et, vraisemblablement, ma propre personne. Elle faisait suite à une très intensive campagne de collage d'autocollants de la part d'un groupuscule d'extrême-droite, tant en abondance autour de ma vitrine d'artisan que dans la rue Juiverie et le Vieux-Lyon, ce depuis le 29 août dernier. Par conséquent, j'ai déposé plainte auprès du commissariat du 5° arrondissement de Lyon et pris un avocat, Maître Bertrand Sayn, ainsi que le Syndic de copropriété de mon immeuble du 20 rue juiverie, l'enquête menée assidûment par la police suivant son cours.
Je précise que j'ai déjà subi des pressions et autres tentatives d'intimidation à plusieurs reprises sous le prétexte, notamment, d'avoir répondu à des journalistes.
Il s'agit d'une nouvelle attaque, après celles de la Maison des Passages, du potier de la rue Saint-Jean, de restaurants, de bars, de lieux culturels, ... qui, de la sorte, signe ouvertement une volonté d'escalade de la violence de l'extrême-droite à Lyon.
Le 23 juillet 1962, en créant les secteurs sauvegardés, André Malraux nous donnait à créer une nouvelle vision de notre rapport à notre environnement patrimonial, notre cadre de vie. Le patrimoine urbain avait enfin les moyens de rester en vie et surtout d’être transmis.
50 ans après, un autre péril nous menace : celui de voir le Vieux-Lyon être dépossédé de son histoire à des fins idéologiques radicales visant principalement à opposer des groupes humains entre-eux.
Le patrimoine a vocation à unir les individus et non à les diviser. L' enfermer dans le seul registre mono-identitaire alors qu'il est évidemment d'influences multiples, c'est le faire tout simplement mourir.
Depuis quelques années, ma qualité de défenseur de ce patrimoine, notre héritage commun classé UNESCO en 1998, ainsi que mon engagement associatif, culturel et social, fait apparemment de moi une cible pour les groupuscules qui sévissent notamment à Saint-Paul. 34 ans après le film de Bertrand Tavernier, la réalité rejoint la fiction.
Or mon métier, un savoir-faire ancestral, est bien de sauvegarder le patrimoine et son universalité. Il est de promouvoir la variété des cultures, facteur de connaissance et de reconnaissance réciproque, d'éviter les amalgames ou les erreurs historiques. Je défends l'idée d'un patrimoine vecteur de dialogue, de respect et de compréhension mutuelle, cette envie de comprendre le monde et de s'ouvrir aux autres.
Dans l'attaque de mon atelier d'horloger d'art, se sont certes les principes de liberté d'expression et de la presse qui sont touchés, une fois de plus, mais aussi l'artisanat lyonnais, ce qui fait que l'Horloger de Saint-Paul est un mythe parce qu'il participe de la culture locale et des bords de Saône, qu'il fait en quelque sorte partie du paysage historique et mental de la ville
Je lance donc un appel pour que les acteurs du Vieux-Lyon, avec la Ville, s'impliquent collectivement après ce grave événement qui touche le quartier dans son ensemble et afin ne pas laisser la violence atteindre notre humanisme, notre volonté de vivre, de faire et de travailler ensemble. Le patrimoine, en nous dévoilant son histoire, faite de rencontres et d'espérances, doit nous mener toutes et tous sur les chemins d'une Paix enfin retrouvée dans le Vieux-Lyon.
Vous voyez ici réalisée sur une idée de Frédéric JEAN, artiste photographe, utilisant la vitrine brisée, une oeuvre éphémère visant à transfigurer la violence destructrice en une vision positive, en un acte artistique et poétique.
Un film-clip intitulé "Nous sommes le Vieux Lyon !", idée de Serge Folie, Président de l'association « Empreintes Rue Juiverie », présentant une fresque des visages de personnes habitant les trois quartiers du Vieux-Lyon : Saint-Paul, Saint-Jean et Saint-Georges, sera réalisée très bientôt. Le Député Thomas Rudigoz a d'ors et déjà proposé d'apporter un soutien à cette démarche.
Plusieurs associations du quartier (Renaissance du Vieux-Lyon, Dragons de Saint-Georges, Maison des Passages, MJC du Vieux-Lyon, Conseil de quartier « quartiers anciens »), de nombreux habitants, artisans et commerçants m'ont apporté leurs soutiens au cours de cette semaine. Le Ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, le Maire de Lyon, Georges Képénékian, le maire du 5° arrondissement Béatrice Gaillioud et le Député de la 1ère circonscription de Lyon Thomas Rudigoz ont eux aussi manifestés une entière solidarité.
Je voudrais ici remercier chacune et chacun en particulier …
… Je suis parce que Nous sommes."
Philippe Carry
L'Horloger de Saint Paul
Lyon, le 29 septembre 2017